Frankie goes to Rio ...
or
not ?
ARTICLE de Jean- Christophe
Buisson qui est écrivain et journaliste. Il dirige les pages culture et
art de vivre du Figaro Magazine. Il est notamment
l'auteur d'Assassinés (Perrin, 2014).
"Les entraîneurs des équipes
de France de football sont comme les dirigeants de la droite
française: ils ne retiennent rien de leurs erreurs et de leurs
errements passés. Tandis que les épées de l'UMP désespèrent
leurs derniers adhérents en usant et abusant du tout-à-l'ego,
Didier Deschamps vient de réitérer avec une coupable inconscience
une des fautes tragiques commises par trois de ses prédécesseurs:
conserver dans son effectif un joueur-cadre blessé au moment d'une
épreuve internationale majeure.
Souvenez-vous.
En 2002, lors
de la coupe du monde en Corée du Sud et au Japon, le maître-bourrin
Roger Lemerre se persuade que l'élongation à la cuisse gauche de
Zidane n'entravera pas la marche en avant d'une équipe de France
rêvant d'un doublé après sa victoire en 1998. Résultat: jouant
sur une jambe, Zizou se révèle incapable de sauver les Bleus,
contraints de faire leurs valises dès l'issue du premier tour.
Humiliation totale.
Deux ans plus tard, Euro au Portugal. Touché au
genou, le capitaine Marcel Desailly n'est plus que l'ombre du
maître-joueur du Milan AC qu'il a été mais le Droopy du ballon
rond Jacques Santini n'en a cure et le retient dans sa sélection.
Résultat: il apparaît au cours d'un seul match où il offre un but
à la Croatie. La France est éliminée dès les quarts de finale.
Euro 2008 en Suisse. Victime d'une lésion musculaire juste avant le
début de la compétition, Patrick Viera convainc Raymond-la-Science
Domenech que les trois semaines de repos minimales que lui ont
ordonné les médecins sont très exagérées. Il est retenu et
passera la durée de la compétition en salles de soins et sur le
banc de touche: la France, encore une fois, quittera dès la fin du
premier tour les verts pâturages helvètes.
Au-delà de leur aspect
purement sportif, l'impact psychologique de ces trois vraies-fausses
titularisations fut désastreux. Suspendues dans la préparation de
leurs matchs à l'état de santé de leur leader respectif, les trois
équipes concernées firent le contraire de ce qu'elles prétendaient
faire: noyer les individualités dans le collectif. Tétanisées,
incapables de s'organiser indépendamment du joueur blessé, elles
sombrèrent corps et biens. Le moral des Français, avec.
Que faisait Deschamps à cette
époque? Tournait-il en orbite autour de la Terre, un casque
anti-bruits sur les oreilles? Avait-il rompu toute relation avec ses
anciens coéquipiers pour mieux se consacrer à sa thèse sur
l'eschatologie dans la religion chiite au XIIème siècle?
Comment
imaginer qu'il n'ait pas en mémoire ces trois exemples de management
sportif catastrophique au moment où il décide de garder Franck
Ribéry dans l'avion pour le Brésil?
Se pourrait-il que le fait de
partager avec le joueur munichois le même agent sportif -
Jean-Pierre Bernès - pèse au point que le champion du monde 1998
envisage de mettre en péril la maison Bleu de 2014?
Son palmarès et son
expérience rendent Ribéry indispensable malgré son dos à peu près
aussi de travers que son visage, nous assène-t-on comme
argument-massue.
Répétons-le: c'était le même argument qu'on
brandissait à propos de Zidane, Desailly et Vieira! Sans compter que
ceux-ci s'étaient toujours comportés jusqu'alors comme des
seigneurs des stades et des vestiaires (pour mémoire, le coup de
boule de Zizou à Marco Materazzi date de 2006) et possédaient un
état d'esprit à peu près irréprochable.
Peut-on en dire autant de
Ribéry?
N'est-ce pas lui, qui, en 2010, lors de la pathétique coupe
du monde en Afrique du sud, s'amusait à maltraiter le «boloss»
Yoann Gourcuff qui avait contre lui d'être beau gosse, gentil, bien
élevé et guère attiré par l'esprit racaille de la moitié des
joueurs de l'équipe de France de cette époque (sur le terrain, le
Munichois ne lui adressait aucune passe ; lors des rassemblements de
l'équipe, il le tenait à l'écart de sa bande)?
N'est-ce pas le
même Ribéry qui, avec entre autres Patrice Evra, conduisit la
pitoyable affaire du car de Knysna et de la grève de l'entraînement
des Bleus après l'affaire Anelka?
Il a changé, nous dit-on. Pas au
point de maîtriser la syntaxe et la grammaire française,
remarquera-t-on de notre côté. Et quand bien même il aurait appris
à parler comme Alain Finkielkraut: on se priverait d'un Lacazette ou
d'un Cabella en pleine forme physique, surmotivés, élevés aux
laits lyonnais et montpelliérain du «collectif avant tout», pour
garder à tout prix un joueur individualiste et arrogant qui,
manifestement, ne supportera pas plus la concurrence en équipe de
France qu'il n'a accepté il y a six mois qu'on lui préfère
Cristiano Ronaldo pour le titre de Ballon d'or? Surtout, surtout:
comment parviendra-t-il à se fondre dans un effectif dont tous les
membres chantent fièrement la Marseillaise, ainsi qu'on a pu le
constater lors des matchs de préparation contre la Norvège et le
Paraguay?
Il est encore temps de revenir sur votre décision d'ici le premier match de la France le 15 juin, cher Didier Deschamps. Il est encore temps de demander à Ribéry de retourner cueillir en yodlant des Edelweiss dans les montagnes bavaroises et d'éviter un nouveau camouflet à notre équipe nationale."
Franck Ribéry devrait être rassuré de pouvoir trouver au Brésil des soins appropriés à son mal de dos... en lisant cette déclaration du Sélectionneur National:
«Je ne savais pas qu’il y avait un bordel à côté de l’hôtel où les Bleus seront logés au Brésil. […] Les journalistes vont dans les mêmes endroits que les joueurs, mais ça se sait moins. Souvent, j’arrive à le savoir quand même. Au cas où. Parce que vous pouvez avoir des dossiers sur les joueurs, mais j’en ai aussi sur les journalistes.»
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