mercredi 4 juin 2014



Frankie goes to Rio ...
or 
not ?



ARTICLE de Jean- Christophe Buisson qui est écrivain et journaliste. Il dirige les pages culture et art de vivre du Figaro Magazine. Il est notamment l'auteur d'Assassinés (Perrin, 2014).

"Les entraîneurs des équipes de France de football sont comme les dirigeants de la droite française: ils ne retiennent rien de leurs erreurs et de leurs errements passés. Tandis que les épées de l'UMP désespèrent leurs derniers adhérents en usant et abusant du tout-à-l'ego, Didier Deschamps vient de réitérer avec une coupable inconscience une des fautes tragiques commises par trois de ses prédécesseurs: conserver dans son effectif un joueur-cadre blessé au moment d'une épreuve internationale majeure.
Souvenez-vous.
 En 2002, lors de la coupe du monde en Corée du Sud et au Japon, le maître-bourrin Roger Lemerre se persuade que l'élongation à la cuisse gauche de Zidane n'entravera pas la marche en avant d'une équipe de France rêvant d'un doublé après sa victoire en 1998. Résultat: jouant sur une jambe, Zizou se révèle incapable de sauver les Bleus, contraints de faire leurs valises dès l'issue du premier tour. Humiliation totale.
 Deux ans plus tard, Euro au Portugal. Touché au genou, le capitaine Marcel Desailly n'est plus que l'ombre du maître-joueur du Milan AC qu'il a été mais le Droopy du ballon rond Jacques Santini n'en a cure et le retient dans sa sélection. Résultat: il apparaît au cours d'un seul match où il offre un but à la Croatie. La France est éliminée dès les quarts de finale. 
Euro 2008 en Suisse. Victime d'une lésion musculaire juste avant le début de la compétition, Patrick Viera convainc Raymond-la-Science Domenech que les trois semaines de repos minimales que lui ont ordonné les médecins sont très exagérées. Il est retenu et passera la durée de la compétition en salles de soins et sur le banc de touche: la France, encore une fois, quittera dès la fin du premier tour les verts pâturages helvètes.

Au-delà de leur aspect purement sportif, l'impact psychologique de ces trois vraies-fausses titularisations fut désastreux. Suspendues dans la préparation de leurs matchs à l'état de santé de leur leader respectif, les trois équipes concernées firent le contraire de ce qu'elles prétendaient faire: noyer les individualités dans le collectif. Tétanisées, incapables de s'organiser indépendamment du joueur blessé, elles sombrèrent corps et biens. Le moral des Français, avec.

Que faisait Deschamps à cette époque? Tournait-il en orbite autour de la Terre, un casque anti-bruits sur les oreilles? Avait-il rompu toute relation avec ses anciens coéquipiers pour mieux se consacrer à sa thèse sur l'eschatologie dans la religion chiite au XIIème siècle? 
Comment imaginer qu'il n'ait pas en mémoire ces trois exemples de management sportif catastrophique au moment où il décide de garder Franck Ribéry dans l'avion pour le Brésil? 
Se pourrait-il que le fait de partager avec le joueur munichois le même agent sportif - Jean-Pierre Bernès - pèse au point que le champion du monde 1998 envisage de mettre en péril la maison Bleu de 2014?
Son palmarès et son expérience rendent Ribéry indispensable malgré son dos à peu près aussi de travers que son visage, nous assène-t-on comme argument-massue
Répétons-le: c'était le même argument qu'on brandissait à propos de Zidane, Desailly et Vieira! Sans compter que ceux-ci s'étaient toujours comportés jusqu'alors comme des seigneurs des stades et des vestiaires (pour mémoire, le coup de boule de Zizou à Marco Materazzi date de 2006) et possédaient un état d'esprit à peu près irréprochable. 
Peut-on en dire autant de Ribéry? 
N'est-ce pas lui, qui, en 2010, lors de la pathétique coupe du monde en Afrique du sud, s'amusait à maltraiter le «boloss» Yoann Gourcuff qui avait contre lui d'être beau gosse, gentil, bien élevé et guère attiré par l'esprit racaille de la moitié des joueurs de l'équipe de France de cette époque (sur le terrain, le Munichois ne lui adressait aucune passe ; lors des rassemblements de l'équipe, il le tenait à l'écart de sa bande)? 
N'est-ce pas le même Ribéry qui, avec entre autres Patrice Evra, conduisit la pitoyable affaire du car de Knysna et de la grève de l'entraînement des Bleus après l'affaire Anelka? 

Il a changé, nous dit-on. Pas au point de maîtriser la syntaxe et la grammaire française, remarquera-t-on de notre côté. Et quand bien même il aurait appris à parler comme Alain Finkielkraut: on se priverait d'un Lacazette ou d'un Cabella en pleine forme physique, surmotivés, élevés aux laits lyonnais et montpelliérain du «collectif avant tout», pour garder à tout prix un joueur individualiste et arrogant qui, manifestement, ne supportera pas plus la concurrence en équipe de France qu'il n'a accepté il y a six mois qu'on lui préfère Cristiano Ronaldo pour le titre de Ballon d'or? Surtout, surtout: comment parviendra-t-il à se fondre dans un effectif dont tous les membres chantent fièrement la Marseillaise, ainsi qu'on a pu le constater lors des matchs de préparation contre la Norvège et le Paraguay?

Il est encore temps de revenir sur votre décision d'ici le premier match de la France le 15 juin, cher Didier Deschamps. Il est encore temps de demander à Ribéry de retourner cueillir en yodlant des Edelweiss dans les montagnes bavaroises et d'éviter un nouveau camouflet à notre équipe nationale."

Franck Ribéry devrait être rassuré de pouvoir trouver au Brésil des soins appropriés à son mal de dos... en lisant cette déclaration du Sélectionneur National: 
«Je ne savais pas qu’il y avait un bordel à côté de l’hôtel où les Bleus seront logés au Brésil. […] Les journalistes vont dans les mêmes endroits que les joueurs, mais ça se sait moins. Souvent, j’arrive à le savoir quand même. Au cas où. Parce que vous pouvez avoir des dossiers sur les joueurs, mais j’en ai aussi sur les journalistes.»







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